Le voyage du pape François sur l’île grecque de Lesbos suffira-t-il à infléchir la politique européenne sur l’accueil des réfugiés ? Entretien avec François Euvé, jésuite et rédacteur en chef de la revue Études.

Déjà, il y a trois ans sur l’île italienne de Lampedusa, il avait dénoncé la « mondialisation de l’indifférence », le fait que les pays riches tendent à détourner le regard de ce qui se passe plus au sud : violence, misère, corruption. On pense à la célèbre phrase de Jacques Chirac, prononcée dans un autre contexte : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. »

Plusieurs personnalités, en France et dans d’autres pays, ont salué ce geste prophétique. Que mettront-elles en œuvre pour infléchir les politiques de leurs pays ? On peut craindre que les choses ne changent guère au niveau des plus hautes instances. En revanche, on peut espérer que la solidarité des populations s’en trouvera renforcée. C’est déjà le cas. À l’égard des réfugiés, le peuple grec manifeste une remarquable hospitalité. Les gens, même les plus modestes, ne se défaussent pas sur leurs autorités. L’Église orthodoxe, qu’on croyait attachée à la défense de ses privilèges, participe à ce mouvement de générosité. Ailleurs, dans les diverses associations, les bénévoles sont nombreux.

SS. Papa Francesco - Viaggio a Lesbo 16-04-2016 @Servizio Fotografico - L'Osservatore RomanoPour François, l’attitude à l’égard des migrants est profondément liée à l’identité européenne en tant qu’elle se veut marquée par les valeurs chrétiennes. Dans un article de la revue Études du mois de mai, le journaliste Sébastien Maillard en fait l’une des clés de la politique européenne de ce fils d’immigrants italiens. Le pape latino-américain, à la tête d’une Église mondialisée mais dont le centre géographique (Rome) reste en Europe, ne peut pas se désintéresser de ce continent.

Ce qui le préoccupe n’est pas d’abord la conception théorique d’une « Europe chrétienne », comme l’avait été le débat de 2004 sur les « racines chrétiennes » de ce continent. À ses yeux, l’identité chrétienne de l’Europe est étroitement liée à sa capacité d’accueil, particulièrement à l’égard des victimes de la violence et de la misère.

S’il y a une « valeur » chrétienne à promouvoir, elle ne tient pas tant à la défense de valeurs du passé qu’à l’ouverture généreuse à celui qui vient d’ailleurs. Il défend l’accueil comme une occasion d’élargir son horizon, tant de la part de celui qui accueille que de celle de celui qui est accueilli. Il doit lui aussi s’adapter à un nouvel espace culturel. L’immigrant n’arrive pas sur une terre vierge. Il doit prendre en compte les traditions et les mœurs de la population qui l’accueille.

Cet accueil n’est pas que matériel, économique. Il est aussi culturel. Le pape n’est pas naïf. Il sait bien que la rencontre de cultures différentes peut être conflictuelle. Mais il a confiance dans le fait que la générosité mutuelle saura traverser ce qui apparaît à première vue comme une barrière. Les uns et les autres sont appelés à se laisser déplacer.

Cela rejoint la dimension œcuménique de l’action du pape. Il ne veut pas agir seul. On se souvient de son invitation à Rome de Mahmoud Abbas et Shimon Peres. En Centrafrique, il était apparu encadré par un archevêque, un pasteur et un imam. Dans son voyage à Lesbos, l’accompagnaient le patriarche Bartholomée (citoyen turc) et l’archevêque Hieronimos d’Athènes. Et ce sont des musulmans qu’il a ramenés avec lui à Rome. Si la personnalité du pape le met au premier plan, il a toujours le souci de ne pas apparaître seul mais d’associer avec lui d’autres responsables religieux. C’est la coopération qui peut porter des fruits.

> Source : Ouest-France

> Photo : © CTV