Rétrospective à Quimperlé de l'œuvre d'André Bouler sj
Une exposition en hommage à André Bouler, peintre jésuite, né en 1924 à Quimperlé où il a passé son enfance.
Du 31 mai au 15 septembre 2014
à la Maison des Archers, à Quimperlé en Bretagne
Elle présente les différentes étapes de sa vie et les nombreux aspects de son talent, depuis les caricatures du lycée jusqu’aux foulards et bannières pour la maison Le Minor de Pont-l’Abbé. Elle montre surtout comment André Bouler a pu concilier son engagement religieux de jésuite et son expression de peintre à travers la création de vitraux et de peintures abstraites.
Cette première rétrospective, 17 ans après sa disparition, permet d’apprécier la place tout à fait originale qu’il a occupée dans le monde de l’art sacré et de l’abstraction de la seconde moitié du XXe siècle.
Texte est tiré du Livret publié à l’occasion de l’exposition temporaire
André Bouler présentée
du 31 mai au 15 septembre 2014 à la Maison des Archers,
à Quimperlé en Bretagne
Présentation par André Cariou
L’exposition est organisée par sa ville natale à la Maison des Archers dans la Basse Ville, à mi-chemin entre la place Carnot où il demeurait avec sa famille et l’école Sainte-Croix dont il était élève. Au-delà de Quimperlé, l’exposition témoigne de l’importance de la Bretagne dans la vie et l’œuvre du peintre, comme son attachement à Riec-sur-Bélon.
(ll se surnommait le « jéshuitre du Bélon »), les relations qu’il y entretenait avec Émile Compard et Mélanie Rouat et d’autres avec Jean Fournier à Sainte-Anne-la-Palud. Il conçoit des foulards et des bannières qui seront brodées par la maison Le Minor à Pont-L’Abbé et élabore à Brest l’Enfance De l’art avec Anne Boivineau, sans oublier la création de vitraux dans pas moins de 13 églises et chapelles bretonnes.
André Bouler est l’auteur de cette étonnante verrière circulaire qui ceinture la nef de l’église de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus dans le quartier du Landais à Brest, considérée comme l’une des réussites de l’architecture religieuse de l’après-guerre en France. (voir plus loin)
Le peintre abstrait est aussi un prêtre jésuite consacrant une grande part de son temps à sa vie de prière et de communauté et à l’enseignement, sans qu’on puisse séparer son activité créatrice des autres. Cette image de « peintre jésuite » en marge du milieu artistique a sans doute contribué à brouiller la perception que l’on a de lui, et de la place tout à fait originale qu’il a occupée dans le monde de l’art abstrait de la seconde moitié du XXe siècle.
Premières rencontres
André Bouler s’initie au dessin et à la peinture sans bénéficier d’un enseignement ou d’un apprentissage, sinon des encouragements de son père et d’une tante qui remarquent son talent précoce. Celui-ci se manifeste dès l’adolescence par la réalisation de paysages et portraits de belle qualité et par des dessins humoristiques montrant au-delà de leur humour « potache » un vrai sens du dessin.
Il ne cessera tout au long de sa vie de dessiner des caricatures où se manifeste son humour, comme celles de ses collègues jésuites.
Il sera à plusieurs reprises menacé de renvoi du lycée de Vannes en raison de l’impertinence de certaines de ses caricatures. La première rencontre qui le conforte dans sa vocation de peintre est celle du peintre Émile Compard (1900-1977).
Celui-ci, soutenu par le critique Félix Fénéon, est considéré comme l’un des meilleurs peintres de sa génération. Il s’est fixé dans le petit port de Doëlan à partir de 1936. Mais en raison des désagréments et contraintes de la vie en bord de mer durant la guerre, il s’établit à Riec-sur-Belon où il noue des relations étroites avec Mélanie Rouat qui tient le célèbre restaurant « Chez Mélanie ».
E. Curnonsky à l’oeuf, 1942, Quimper, Musée des beaux-arts.
L’une des meilleures tables du moment. Elle accroche plusieurs de ses toiles dans les salles à côté des ouvres de Delavallée, Sérusier, Bernard ou Asselin. Durant ses vacances à Riec, André Bouler rencontre Compard qui l’encourage. Il connaît aussi la collection de Mélanie qui apprécie son intérêt pour la peinture et pousse le jeune homme à s’engager dans cette voie. Le jeune Bouler rencontre également Curnonsky « le prince des gastronomes », un habitué qui est installé à demeure chez Mélanie à cette époque. Ii est sous le charme de cette personnalité affable et de ce réputé conteur. Riec n’est qu’à quelques kilomètres de Pont-Aven et du Pouldu où les peintres sur le motif sont encore nombreux.
Comme il l’a rappelé, André Bouler a toujours ressenti avoir une dette envers Gauguin qui avait peint les rochers lui ayant servi de terrain de jeu.
Les études de 1946-1947 pour la Crucifixion, première ouvre ambitieuse, autrefois accrochée dans une salle du restaurant de Mélanie, font écho aux Christ jaune et vert de Gauguin par le thème mais aussi parla simplification des plans colorés. Les études pour le pardon de Sainte-Anne-la¬Palud témoignent également de ce parti pris « synthétiste ».
Le jeune Bouler disciple de Fernand Léger dans son atelier
À l’issue de ses études au lycée de Vannes, André Bouler décide, à la grande surprise de sa famille, de se lancer dans le long apprentissage permettant de devenir prêtre jésuite. À aucun moment, il n’envisage de s’inscrire à l’École des beaux-arts de Paris, contrairement à son camarade Jean Fournier. Durant le noviciat, le maître des novices lui demande de ne pas peindre, afin d’éprouver une plus grande liberté intérieure face à son passé. Sur ces fondements de liberté, ses supérieurs vont l’encourager par la suite à tirer parti de son talent.
Il est autorisé à interrompre l’apprentissage en théologie pour s’inscrire à l’atelier de Fernand Léger (1881-1955) à Paris, suivant la suggestion du père dominicain Marie-Alain Couturier (1897-1954) qui est alors l’un des plus actifs dans le renouveau de l’art sacré. Ce choix n’est pas anodin lorsqu’on sait que Léger était membre du parti communiste. (Une solide amitié liait Couturier et léger depuis leur rencontre à New York en 1940).
Cette période est très stimulante et féconde dans l’atelier de Léger qui travaille alors sur un ensemble de 17 vitraux en dalles de verre et une tapisserie pour l’église du Sacré-Cœur d’Audincourt. Il achève également une immense mosaïque pour la façade de l’église Notre-Dame-de-toute Grâce du plateau d’Assy à Passy. Cette dernière construction à laquelle sont associés Rouault, Bonnard, Matisse, Braque, Lurçat, Chagall ou Lipchitz déclenchera en 1951 une vive controverse relayée jusqu’à Rome. Elle se focalisera sur le Crucifix sculpté par Germaine Richier, mais aussi sur l’œuvre de Léger qui sera qualifiée par certains de « blasphème ».
André Bouler est ainsi le témoin des discussions que l’on va appeler « la querelle de l’art sacré », à propos de l’utilisation de l’art abstrait dans les églises et de la participation de non-chrétiens à ces décorations. Au cœur de ce mouvement de renouveau de l’art sacré, et du questionnement sur la figuration et sur la représentation du Divin, il est en relation avec le Père Couturier, et avec un autre dominicain historien de l’art, le Père Pie-Raymond Régamey (1900-1996).
Leur revue, l’Art sacré, et leur ouvrage édité en 1950, Le prêtre et la création artistique, serviront de base de réflexion du jeune peintre lorsqu’il sera confronté à la commande d’un décor d’église.
Il se souviendra sans doute des écrits du P. Couturier comme celui-ci dans une « Note sur l’abstraction »‘:
« On peut très bien imaginer aux murs de nos églises de grandes peintures abstraites, qui joueraient alors un rôle semblable à celui de la musique sacrée – par exemple de l’orgue – mais qui cependant ne prendraient pas plus la place des statues ou peintures objets de culte, que l’orgue ne remplace les paroles de mélodies grégoriennes ou le chant de l’Évangile ».
Le jeune André Bouler se retrouve ainsi au contact d’artistes un peu plus âgés que lui comme Jean Bazaine, Jean Le Moal, Roger Bissière, Alfred Maneissier, Jean Bertholle ou Léon Zack qui sont à l’ouvre sur ces chantiers. Il rencontre également Nicolas de Staël et Georges Rouault. Il sera également très proche de l’abbé Morel qui a contribué au livre de Couturier. Critique d’art et peintre lui-même, il a été très lié à Max Jacob et est l’ami de Picasso et de Rouault.
Cet apprentissage dans l’atelier de Léger lui permettra d’acquérir les clefs nécessaires au traitement des grands formats, comme les techniques des maquettes et cartons. Quelques toiles figuratives montrent l’influence du maître, mais cela sera sans suite.
Les broderies chez Le Minor à Pont-L’Abbé et les premières peintures
En 1941, au lycée à Vannes, André Bouler s’est lié avec Jean Fournier, originaire de Plougastel-Daoulas. Ils partagent la même passion pour la peinture et resteront amis toute leur vie. En 1948 puis en 1952, Fournier entraîne son ami au pardon de Sainte-Anne-la-Palud, prétexte à dessiner des costumes traditionnels.
Ces études serviront à Bouler pour plusieurs tableaux ambitieux par leurs formats où quelques personnages occupent toute la surface. D’une manière décorative, le peintre juxtapose les aplats de couleurs simplifiés suivant l’esprit du synthétisme de l’École de Pont-Aven.
Jean Fournier est apparenté à la famille Le Minor, qui, à Pont-L’Abbé, s’emploie au renouvellement de la broderie bigoudène. Mais il est aussi, avec son frère Jacques et avec Jean Le Minor, au coeur du Bleun Brug, le mouvement catholique bretonnant qui vient d’être relancé. Par son ami Fournier, André Bouler entre en contact avec les Le Minor, dont Marie-Anne qui dirige alors la maison.
Il reçoit la commande en 1954 d’un foulard, Locronan, dont les motifs sont inspirés par les sculptures de la chaire de l’église de ce village, et d’une bannière pour Sainte- Anne d’Auray. Suivront trois autres foulards et deux autres bannières pour Notre-Dame des Carmes de Pont-L’Abbé et Sainte-Annela-Palud. Comme Pierre Toulhoat au même moment, avec lequel il se lie, Bouler s’approprie les motifs traditionnels des plastrons bigoudens faits de plumes de paon, soleils, chaîne de vie, cornes de béliers, fougères ou coeurs. Il tente d’innover par des effets de simplification pour la bannière de Pont-L’Abbé, mais le curé refuse le projet et Bouler doit s’y reprendre. Marie-Anne Le Minor tiendra quand même à faire broder pour sa propre collection le projet refusé.
L’évêque de Quimper et Léon, Mgr André Fauvel, remarque alors le jeune artiste et lui confie en 1955 la conception d’un nouveau pontifical, inspiré par ces motifs traditionnels bigoudens. L’ensemble qui comprend 22 pièces, chapes, chasubles, mitres, etc., sera achevé en 1956. Durant tout son ministère qui s’achève en 1968, l’évêque portera un regard attentionné aux créations d’André Bouler et favorisera les commandes.
63. Locronan, 1954. Foulard édité par la maison Le Minor de Pont-L’Abbé, collection particulière.
61-62. Deux essais de broderie par la maison Le Minor de Pont-L’Abbé pour le pontifical commandé par Mgr Fauvel, évêque de Quimper et Léon, 1955-1956, Evêché de Quimper et Léon.
55. Projet non réalisé de bannière pour l’église Notre- Dame des Carmes de Pont- L’Abbé, 1956, Pont-L’Abbé, maison Le Minor. Bannière de l’église Notre-Dame des Carmes de Pont-L’Abbé, 1956.
Les vitraux
Parallèlement, depuis Fourvière où il achève son théologat avant d’être ordonné prêtre en 1955, André Bouler dessine des projets de décoration ou d’objets liturgiques pour la chapelle de la résidence des Jésuites à Saint-Etienne, une maquette pour des vitraux à Évreux et deux vitraux et une tapisserie pour la chapelle d’une résidence d’étudiants à Grenoble. Dans les études pour Évreux on retrouve l’esprit des vitraux horizontaux conçus par Fernand Léger pour l’église Notre-Dame d’Audincourt.
Son expérience est peu importante. Pourtant le jeune peintre est sollicité en décembre 1957 par Mgr Fauvel pour un projet considérable : la réalisation d’un vitrail de 169 m2 pour l’église Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus alors en construction dans le quartier du Landais à Brest : un bandeau sur toute la circonférence et un mur de dalles de verre pour le baptistère.
Devant la réussite de l’église du Landais, le père Joseph Le Beux, (5) responsable des travaux de reconstruction des églises endommagées par la guerre, décide de lui confier la création de 41 vitraux pour l’église Saint-Laurent de Lambézellec, toujours à Brest.
5. Après avoir été professeur d’histoire et d’histoire de l’art au séminaire de Pont-Croix, le père Joseph Le Beux (1911-1998) a été nommé directeur de la Coopérative de reconstruction des églises et édifices sinistrés du département. Originaire de Riec-sur-Belon, il connaît André Bouler.
Puis le curé de l’église Saint-Sauveur dans le quartier de Recouvrance, également à Brest, prend l’initiative de lui confier la création de 25 vitraux en remplacement des verres blancs posés à la fin de la guerre (6).
6. Ces trois réalisations ont été particulièrement étudiées par Yann Cenon dans sa maîtrise d’histoire « Le
renouveau de l’art sacré, le cas de la reconstruction de Brest, de la Libération au Concile Vatican II », Université
de Bretagne Occidentale, Brest, 1990.
Pour tous ces travaux, et pour ceux à venir, André Bouler travaille avec Jacques et Mireille Juteau, maîtres verriers installés à Ermont, une collaboration fructueuse qui permettra à Bouler de répondre à de nombreuses commandes bien au-delà de son Finistère natal (7).
7. Pour les réalisations en Bretagne, voir le catalogue de l’exposition Sculpter la lumière, le vitrail contemporain en Bretagne 1945-2000, Château de Kerjean, Saint-Vougay, et Centre international du vitrail, Chartres, 1999. Ils sont mentionnés dans la biographie en fin d’ouvrage.
Chaque année, surtout jusqu’en 1968, André Bouler conçoit plusieurs ensembles de vitraux (8).
Les projets sont plus ou moins importants, depuis quelques verrières pour de petites chapelles en Cornouaille comme Sainte-Marine à Combrit ou Trémorvezen à Névez jusqu’à des ensembles pour de nouvelles constructions telles l’église Notre-Dame-de la Mer à Bénodet (9) ou la chapelle du collège du Sacré-Coeur à Charleroi. Le plus souvent, il s’agit de chapelles jésuites ou d’autres communautés, parfois celles d’établissement d’enseignement catholique.
8. Ils sont mentionnés dans la biographie en fin d’ouvrage.
9. Son architecte est Pierre Brunerie de Quimperlé, allié à la famille d’André Bouler. Les 32 vitraux en dalles de verre occupent 95 m2.
Pour chaque création, André Bouler s’adapte au lieu. Il réalise des maquettes très abouties et se montre précis dans les choix des couleurs qu’il indique aux verriers. Il évoque ainsi sa place :
« La fonction du vitrail est double :
1) créer dans l’église une certaine quotité de lumière,
2) être lui-même une très belle chose à regarder
3) enfin il s’inscrit dans une architecture donnée, sa couleur dépend d’un soleil qui la traverse..,
si une peinture est destinée à un endroit précis, à un cadre architectural prévu, nous l’appelons « Peinture murale » et dans ce cas sa composition, sa couleur, vont dépendre de l’architecture, de sorte que composer un vitrail c’est composer une peinture murale dont les couleurs sont transparentes…Formes et couleurs comptent ; résille de plomb ou trame de béton, auxquels j’attache une importance capitale puisque cette qualité du dessin – qu’on ne regarde guère : on ne regarde que la couleur… dépend en très grande part la qualité des couleurs : la qualité du vitrail…
Nous œuvrons ensemble avec le curé pour la prière des paroissiens.
Qu’en regardant les vitraux, ils entendent par leurs yeux une certaine musique que j’ai voulue spirituelle. Ainsi, je ne m’adresse pas à l’intelligence des fidèles comme si je faisais un sermon, mais du haut des vitraux je m’adresse aux yeux et par eux à la sensibilité, au cœur des fidèles. Je tâche d’y exprimer ce qui ne peut être dit par des mots, qui est le plus important de notre méditation, de notre prière que seules musique, couleurs, lumière peuvent dire… » (10)
10. Extrait de « Liturgical Art », New York, 1965.
» Dans son « code de couleurs », chaque couleur, du gris au doré, fait partie d’un vocabulaire qu’il utilise en fonction de divers critères qu’il croise, comme les couleurs liturgiques traditionnelles, ou celles du symbolisme de la culture occidentale.
On lui confie aussi la conception de mosaïques, de tapis d’autels (11) ou de fragments de décors comme l’autel de la chapelle de la maison d’arrêt de Muret en 1984. Les peintures murales sont très rares.
11. Tissés ou brodés, souvent par Elisabeth Baillon, comme celui pour l’église Saint-Coeur de Marie de Concarneau, actuellement dans le baptistère de l’église Saint-Guénolé.
Parfois il s’agit dune réflexion d’ensemble sur un décor menant à un projet de réaménagement ou de création d’un oratoire. Ces interventions peuvent être très modestes comme des « colorations », le choix de quelques verres colorés pour « mettre en lumière » un espace de prière. L’une des commandes qui l’a le plus stimulé est le projet en 1985 d’une grande toile pour le réfectoire de la Curie à Rome, mais qui sera sans suite sans en connaître les raisons, ce qui le rendra amer.
Les réalisations concernent très rarement des décors « profanes » : la grande mosaïque pour la Direction des télécommunications à Narbonne est une exception(12). Cette capacité à mettre en relation des techniques décoratives variées lui sert à concevoir des décors éphémères pour des évènements comme pour le rassemblement national de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne au stade du Parc-des-Princes à Paris en 1967.
12. Le bâtiment a changé d’affectation et la mosaïque, collée sur des panneaux de bois, s’est dégradée et n’a pas été entretenue.
L’Enfance de l’art
En 1953, André Bouler rencontre une religieuse, enseignante d’arts plastiques dans un collège de Quimper, également peintre : Anne Boivineau (pour sa communauté soeur René-Benjamin). Leurs discussions sur l’importance du dessin dans l’éducation et sur l’absence d’ouvrage pédagogique adéquat vont aboutir en 1956 à un projet, « L’Enfance de l’art, qui prendra la forme de deux livres, édités en 1959 et en 1966, destinés aux maîtres, parents, éducateurs ou animateurs. Le premier s’adresse aux enfants, le second aux « jeunes ».
Cette introduction à l’art de peindre est composée d’exemples pris chez les maîtres et d’œuvres originales d’enfants de 7 à14 ans. Une association est créée pour l’organisation de conférences, stages et expositions dans toute la France, puis rapidement dans de nombreux pays étrangers. Une revue, Les Cahiers de l’enfance de l’art est éditée à partir de 1969.
Le sommet de cette aventure est une exposition aux Galeries nationales du Grand Palais à Paris en 1972, qui, en raison de son succès, sera suivie par la réalisation dune exposition itinérante qui sera accueillie dans de nombreuses villes. André Bouler ne ménagera pas son temps jusqu’en 1981 (13).
13. Il raconte son expérience dans un article « »Au revoir » et des souvenir» dans Le numéro de juin 1981 des Cahiers de l’Enfance de l’Art.
Peintures abstraites
Aux quelques peintures à thème religieux ou « breton » des années 1946-1959 vont succéder pendant deux-trois ans des œuvres très structurées, faites d’aplats superposés, souvent sombres, presque dramatiques. Les paysages représentés sont difficilement perceptibles comme si les effets plastiques prenaient peu à peu le dessus sur la transcription de la réalité visible.
Puis André Bouler saute le pas. Il va décliner dorénavant des variations abstraites, tableaux qu’il élabore lentement. Une seule œuvre à la fois. Dans l’atelier, de nombreuses toiles sont retournées contre le mur. Il les reprend parfois bien longtemps après, ce qui explique la présence parfois de deux dates. Il met toujours de la musique en accompagnement comme s’il lui fallait tisser des liens et établir un dialogue entre les différentes formes d’expression. Il ne veut pas de témoin durant ses séances de travail.
Quelques notes montrent la clarté de sa position par rapport à la représentation d’un sujet religieux : « …Vais-je oser titrer une toile abstraite comportant deux formes et une tonalité bleue « Madone à l’enfant »? Sincèrement serait-il honnête ? Ah dans bien des cas ce serait bien facile !!! et le public marcherait ! Trop heureux de lui éviter le vertige du « Quoi ? » en lui donnant une solution stable : c’est une image spirituelle de la Vierge et de l’Enfant !!! cela a été pratiqué trop souvent. Tu parles… tout de même il y a un moyen de s’en tirer… Mais que le peintre ne me fasse pas l’exégèse mystique de son œuvre (d’autres s’en chargeront amplement !) »(14)
14. Texte dactylographié de 1982, relevé par Marie-Madeleine Canet dans le Dossier « Bouler » des archives jésuites à Vanves.
L’œuvre peinte va s’amplifier à son retour du long séjour de neuf mois aux États-Unis en 1971. Il peut dorénavant disposer d’un espace suffisant aménagé comme un atelier dans la résidence de sa communauté à Paris. Il écrit deux articles qui explicitent sa démarche dans des revues de sa communauté : « Peintre et présence », paru en mars 1965 dans la revue Études et « Monologue d’un peintre », paru en juin 1970 dans le numéro de la revue Christus consacré au thème de « l’art et la foi ». (voir plus loin ce texte >>)
Au fil des ans la peinture devient de plus claire et presque monochrome, se réduisant parfois à un grand rectangle coloré perturbé dans un angle par l’intrusion de quelques coulures. Elle perd peu à peu de son épaisseur et les empâtements et reliefs disparaissent au profit dune matière très fine.
Enseignements et voyages
En 1964, André Bouler se rend aux États-Unis pour une mission d’enseignement. Dix autres séjours suivront jusqu’en 1983 dont l’un de huit mois en 1970-1971 comme enseignant, ou bien comme consultant ou artiste en résidence. Ces déplacements sont favorisés par le fait qu’il est devenu aumônier de la Compagnie transatlantique (15).
15. De la même façon, il sera aumônier de la Compagnie Paquet, ce qui lui permettra d’effectuer plusieurs voyages sur le paquebot Mermoz.
Il séjourne à plusieurs reprises à l’université Fordham de New York, un établissement jésuite particulièrement renommé, au collège Holy Cross de Worcester dans le Massachusets et à la Fairfield University de Fairfield dans le Connecticut. Dans cette dernière ville, il peut compter sur l’hospitalité d’un des amis de Jean Fournier, John D. Skilton (16).
16. John D. Skilton, conservateur à la National Gallery of Art de Washington, fut enrôlé comme « Monuments Men » dans les troupes américaines libérant l’Europe. A Plougastel- Daoulas, il se consacra en particulier à mettre à l’abri les fragments des statues du calvaire. A cette occasion, il se lia avec Jean Fournier. De retour dans son pays, il s’employa à faire connaître ses oeuvres, ouvrant en particulier au public sa collection de Fairfield.
Chaque séjour est ponctué de conférences et expositions, plus rarement de créations de décors ou d’aménagements de chapelles, comme la chapelle de la jésuite « America House » de New York (17). Divers déplacements lui permettront de découvrir d’autres villes, de la Californie au Canada.
17. Les vitraux ont été déposés et actuellement stockés dans l’établissement.
D’autres opportunités vont se présenter comme un cycle de conférences en Norvège en 1967 ou une exposition au Mexique en 1974. Il appartient désormais à un réseau de peintres jésuites européens qui se retrouvent chaque année dans une ville différente, occasion parfois d’exposer des oeuvres.
Une carrière de peintre
À l’exception d’une modeste présentation à Brest en 1961, André Bouler n’exposera que tardivement. Ses séjours aux États-Unis sont l’occasion dans les espaces d’expositions des universités de montrer son travail, mais aussi dans d’autres lieux, comme en 1971, 63 gouaches à la Wiggins Gallery de la Boston Public Library de Boston. Il en est de même à l’occasion des rassemblements d’artistes jésuites.
À d’autres reprises, il expose dans des établissements jésuites en France comme en 1979 et 1980 dans celui des Fontaines à Chantilly ou en 1985 au Centre Saint François-Xavier à Colmar. Sa cousine Marie-Pierre Bouler l’accueille à plusieurs reprises dans sa galerie-librairie de Neuilly-sur-Seine, comme en 1983 avec une préface de Camille Bourniquel. Celui-ci, directeur artistique de la revue Esprit, est alors l’un des plus importants critiques de son temps, défendant en particulier la génération des Bazaine, Maneissier ou Le Moal.
André Bouler expose aussi à plusieurs reprises à la galerie Irène Huisse à Rouen. Il participe à quelques Salons dont celui d’art sacré en 1963 et 1968. On relève quelques présentations ponctuelles à Paris comme à la galerie Strafor en 1974 et l’année suivante à la galerie de l’Université. L’exposition personnelle en 1981 à la galerie Madeleine Kaganovitch (18) boulevard Raspail à Paris, avec une préface de Bernard Dorival, puis diverses participations dans des expositions de groupe de cette galerie, pourraient faire penser à une « ouverture sur l’extérieur ». Le préfacier, conservateur en chef du musée national d’art moderne, est alors l’une des grandes « autorités » dans le monde de l’art. (voir aussi plus loin son texte >>)
18. Cette galerie défend des peintres comme Elvire Jan.
Mais André Bouler est déjà âgé de 57 ans, sans doute trop tard pour susciter un engouement des marchands et collectionneurs, pratiquant une peinture qui n’est plus innovante. Sans doute sa situation de « peintre jésuite » a nui au déroulement d’une carrière tel que nous l’entendons pour un peintre à cette époque et l’a marginalisé par rapport aux marchands et critiques, malgré l’intérêt soutenu de quelques fidèles collectionneurs, en France mais aussi en Belgique ou aux Etats-Unis (19). Il ne cherchait pas spécialement à vendre, n’avait aucune stratégie de communication, n’éprouvait aucune rivalité avec les autres peintres. Faire connaître son oeuvre n’était pas sa principale préoccupation.
19. Les peintures de Bouler sont très dispersées, en particulier aux États-Unis.
Toujours sur le métier
Tous les contemporains font écho de relations particulièrement agréables et chaleureuses avec André Bouler, toujours attentionné aux autres. Les cartes de veux qu’il conçoit chaque année en témoignent, ainsi que les dédicaces de ses ouvrages et travaux. Il prend soin, lors de chaque séjour en dehors de Paris, de dessiner à La gouache et à l’aquarelle, le lieu où il se trouve. Il existe ainsi, en parallèle avec ses peintures abstraites, toute une série de paysages plus ou moins figuratifs à travers lesquels il parvient avec virtuosité à traduire l’esprit des lieux.
La calligraphie est une autre de ses préoccupations, présente dans toutes ses publications. Il écrit magnifiquement au pinceau, jouant de la taille des caractères et des positions des mots. Il élabore ainsi un Ordinaire de la Sainte Messe dans lequel il entrecroise texte et gouaches abstraites.
Cette écriture dessinée se retrouve comme dans la transcription des poèmes de Marie Noël mis en relation avec les études de vitraux ou dans la phrase de sainte Thérèse du Landais à Brest qu’il intègre dans le vitrail de cette église : « Que je ne cherche et ne trouve jamais que toi seul. » Il travaille également à des séries de petites gouaches abstraites de format horizontal qui figurent parmi ses réussites.
Au fil des ans, André Bouler est reconnu dans son milieu pour ses diverses compétences. Ainsi, devient-il le représentant du Saint-Siège auprès de l’Unesco à deux reprises en 1987, ou est-il invité au colloque « Ethique et Esthétique » à Orsay en 1991. Sans doute lui a-t-il manqué, à l’inverse de ses collègues peintres créateurs de vitraux, une galerie réputée à Paris qui s’occupe de la communication et des relations avec le milieu de l’art.
Les écrits de Dorival et Bourniquel ont été insuffisants pour y affirmer sa place. Il lui a sans doute manqué un chantier important en dehors de son Finistère natal. Sa manière d’intégrer la peinture à sa vocation jésuite a sans doute compliqué sa relation au milieu de l’art contemporain, le reléguant, aux yeux de plusieurs, au statut d' »exécutant », d’autant plus qu’il n’avait pas suivi le cursus habituel.
Cette exposition permet de mettre en perspective les différentes étapes de sa vie et ses diverses formes d’expression. Mais le sujet est dense et mériterait une approche plus approfondie. Les vitraux d’André Bouler ne se démodent pas, ce qui est un bon signe pour le futur.
Les vitraux d’André Bouler présentés par Yann Celton
Il faut sans doute attendre les années cinquante et un manifeste publié dans la revue Zodiaque(1), pour que l’art non figuratif dans le vitrail ose s’exprimer en France. Le premier édifice religieux breton orné de vitraux abstraits est sans doute la chapelle Notre-Dame de la Paix au Pouldu, rebâtie pierre à pierre par le reconstructeur de Lorient, Pierre Brunerie.
1. Zodiaque, mars 1951. « ll est bon, de temps à autre, qu’une non-figuration vienne nous rendre le sens du mystère, du caché, du sacré. Il faut même que cette non-figuration vienne baigner ta figuration, l’immerger, la résoudre dans l’éternel et l’immuable », cité par Philippe Bonnet, « Le vitrail contemporain en Bretagne », in Sculpter la lumière, le vitrail contemporain en Bretagne 1945-2000, Saint-Vougay, Château de Kerlean,1999.
Pour l’orner de vitraux il fait appel à Alfred Manessier et à Jean Le Moal, deux artistes qui avec Jean Bazaine fondent à la Libération la Nouvelle École de Paris. Les différents chantiers de la Reconstruction offrent alors un terrain d’expérimentation inédit pour bon nombre d’artistes qui, dès ces années cinquante, viendront enrichir le patrimoine religieux breton de leurs créations, souvent non-figuratives.
À Brest tout particulièrement, la ville est à rebâtir. Encouragé par un prélat intéressé par les questions de l’art et les créations contemporaines, André Bouler le Cornouaillais est amené à venir travailler sur les vitraux des églises détruites de la cité du Ponant.
L’évêque de Quimper, Mgr André Fauvel, s’intéresse particulièrement à ces questions.
« Il fut, écrit André Bouler, à mes yeux le grand promoteur des réalisations artistiques dans son diocèse. D’une très grande culture, d’une extrême courtoisie (d’une forte autorité aussi…) manifestait un intérêt constant pour tout ce qui était du domaine artistique (2). »
2. Correspondance avec Yann Celton, 27 janvier 1991
C’est tout naturellement au jeune peintre Bouler, disciple de Fernand Léger, que s’adressent les responsables diocésains de la reconstruction. Le travail de peintre d’André Bouler est connu, mais à peine son travail sur le vitrail (il n’avait réalisé alors que des petits baies pour une chapelle d’étudiants à Grenoble).
En 1957, après deux ans d’étude de la peinture à l’atelier de Fernand Léger (« Léger nous apprenait à prendre à bras-le-corps les grandes surfaces ») et ses quatre années de théologie à Lyon, André Bouler achève sa formation de jésuite et de peintre et s’installe au 35 rue de Sèvres à Paris. Il était connu dans le diocèse pour avoir dessiné entre 1952 et 1956 le pontifical de la cathédrale de Quimper, commandé par l’évêque et confectionné par les ateliers Le Minor à Pont-l’Abbé. André Bouler est peintre.
À gauche Vitraux de l’église Saint-Sauveur, Recouvrance, Brest, 1961-1966
Et lorsqu’il conçoit un vitrail, son inspiration est bridée par la technique et le jeu des plombs. Les couleurs restent un souci majeur, puissamment renforcé par la transparence du support. Le tracé revient en force, obligatoirement, toujours par le jeu des plombs. André Bouler en prend son parti et fait du dessin son allié. Les tracés limitent les couleurs, les enferment, les cloisonnent. Mais les plombs opposent aussi les couleurs entre elles, les font « chanter » les unes par rapport aux autres et le vitrail devient mosaïque, polyphonique, un large thème en mouvement qui donne à l’église son caractère sacré.
« Si dans un vitrail (et en peinture) je me préoccupe des couleurs, le souci de la forme, du dessin, des lignes des plombs est primordial. Les grandes nappes bleues, calmes, ne sont pas faites d’un assemblage de petits carrés de verre : là aussi existe un dessin, forcément (3).
3. Correspondance- avec Yann Celton, 27 janvier 1991.
» S’exprimant plus volontiers dans le mode non figuratif, le manque de compréhension de son oeuvre ne le gêne pas. « Le vitrail a une double fonction, même quand il n’est pas catéchétique. Il donne d’abord une lumière qui tombe et qui baigne la chapelle. Et puis ça doit être une très belle chose quand vous le regardez lui-même. Ce sont les temps gris qui sont les plus beaux (4).
4. Correspondance avec Yann Celton, 21 mai 1990.
» L’émotion doit passer avant l’intellect, comme une voie directe au sacré. C’est ce qu’il exprime dans un article publié dans Etudes : « du haut des vitraux, je tâche de l’adresser aux yeux et, par eux, à la sensibilité, au cœur des fidèles. À nous, peintres verriers, d’exprimer, dans une église, ce qui ne peut être dit par des mots…(5) »
5. André Bouler, « Peinture et présence », in Etudes t. 322, janvier-juin 1965, p. 380-385.
Dès décembre 1957 il est contacté par Mgr Fauvel qui lui adresse dans une grande enveloppe les plans de l’église Sainte-Thérèse du Landais, dont la construction venait de débuter en octobre : l’évêque lui demande alors d’entreprendre la réalisation des vitraux et le met en contact avec le curé fondateur de la paroisse, Marcel Le Vey. Le projet était adopté par la Commission d’art sacré dès octobre de l’année précédente. Ici l’église, conçue par les architectes Marzin et Freyssinet, est circulaire et le vitrail court sans interruption au sommet du mur, rejoignant la voûte qui repose sur un ensemble de piliers intérieurs, à la façon de la célèbre église d’Audincourt (Doubs) dont les vitraux furent dessinés par Léger.
Mais ici, vu de l’extérieur, le vitrail seul semble soutenir la voûte. 180 m2 dont un seul et long vitrail circulaire de 169 m2 : « j’ai été un peu effrayé », dira-t-il plus tard, devant la taille du chantier. La première idée fut de réaliser un vitrail en dalles de verre et béton. L’architecte s’y opposa: le béton aurait en effet alourdi l’édifice, tandis qu’un fragile appareillage de plomb donne une légèreté à l’église et au voile de béton qui la couvre. Seul le vitrail du baptistère est réalisé en dalles de verre. André Bouler s’oriente très vite vers une représentation abstraite à cause de la disposition des ouvertures.
Dès la réception du plan, il prend une enveloppe, y dessine deux barres horizontales et imagine immédiatement l’esquisse du motif se trouvant au-dessus du chœur. Et lorsqu’un prêtre plaisantin lui demande pourquoi il ne représenterait pas l’évangélisation de la Bretagne par les moines d’Irlande, il lui répond que lui, prêtre, ne pourrait alors plus prêcher : « vous aurez au-dessus de vous toute une histoire, les gens passeront leur temps à regarder l’histoire et n’écouteront plus votre sermon. Par contre, si pendant que vous parlez, il y a un fond musical d’orgue ou de verre, là ça peut aider les gens à vous écouter (6) ». 6. Entretien, op. cit
Le vitrail ne vient pas distraire mais concentre l’attention des fidèles. Le choix de l’abstraction très vite décidé, André Bouler put dessiner une première esquisse en faisant ce qu’il faisait toujours pour un travail d’église, une maquette. La composition débute au-dessus du choeur puis tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. « Un axe central c’est le chœur. Il faut, quand on entre dans l’église, voir ce que l’on reçoit dans la figure. Et puis entraîner le regard, faire un tour, ne pas faire de la musique tout le temps (7). » 7. Idem
Une tache orange, désaxée au-dessus du chœur donne le rythme, amorce le sens de la composition. Les taches de couleurs s’étalent alors, à partir du sanctuaire, et forment quatre zones, réalisées en fonction de l’orientation de l’église et de l’ensoleillement.
« Un point intense au-dessus du chœur, puis on va s’étaler, le calme, on va rester dans les bleus, le côté couchant, puis on va glisser de nouveau dans les bleus, dans les bleus pour arriver au démarrage du motif principal. C’est en fait une symphonie en quatre mouvements si on peut dire : il y a allegro, adagio, allegro puis adagio.
C’est comme ça que j’ai vu les choses, oui : La symphonie se rythme par le jeu des plombs. Ceux-ci ne correspondent pas toujours au jeu de la forme ; ainsi au-dessus du chœur ces deux éléments s’opposent pour plus de richesse et de beauté dans le dessin. « Les couleurs n’ont leur sens que d’après les formes. Et j’attache aux plombs une importance considérable. »
L’église est dédiée à Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus. En relisant sa vie, il isole une phrase qu’il intègre dans plusieurs panneaux du vitrail. « Que je ne cherche et ne trouve jamais que toi seul (9). » C’est dit-il, une phrase de méditation, un thème suffisamment large et précis en même temps pour les gens. Le texte est inséré dans une bulle, au cœur d’un mouvement calme. La réalisation complète de ces vitraux dure seize mois. André Bouler réalise des maquettes, au vingtième, au dixième.
9. Sainte Thérèse de Lisieux : « Que je ne cherche et ne trouve jamais que toi seul, que les créatures ne soient rien pour moi et que je ne sois rien pour elles mais toi Jésus sois tout Billet de profession, 8 septembre 1890. Mgr Pailler, curé de Saint-Louis (futur archevêque de Rouen) et l’abbé Le Beux, directeur de la Coopérative de reconstruction des édifices religieux du Finistère voient les maquettes à l’atelier et sont enthousiastes ; la commission diocésaine d’art sacré donne son accord : « la grande frise circulaire est jugée très intéressante ; des réserves sont faites sur le vitrail du baptistère qui sera à revoir (10). »
10. Archives diocésaines de Quimper 7L9/2, carnet du chanoine Hélou, séance de (a commission d’art sacré du 3 décembre 1958.
Suivant la suggestion du chanoine Jean-François Hélou, les verres sont réalisés à l’atelier de Mireille et Jacques Juteau à Ermont (Val d’Oise), avec qui André Bouler travaillera ensuite pendant trente-six ans et réalisera avec eux trente-deux églises. Les Juteau réalisent également les vitraux pour Manessier et avaient conçu aussi leur propre projet pour Le Landais.
La pose des 360 panneaux du vitrail dura dix jours, débutant par la moitié droite du texte de sainte Thérèse, intriguant fortement les visiteurs qui n’y comprenaient rien… Et, se souvient André Bouler, « tant qu’il reste un panneau blanc ouvert, vous ne voyez rien. Les couleurs sont d’une fadeur épouvantable. Au moment où on pose le dernier panneau, là c’est fantastique. Toute la lumière bascule, la lumière se met à chanter », les lueurs du jour émanant d’une multitude de « foulards dans le vent » comme lui indique sa mère présente sur le chantier.
Avec cette « grande couronne » il réalise également vingt-quatre petites fenêtres se trouvant dans le chœur, qu’il nomme « la petite musique de chambre pour le Saint Sacrement ».
Le carton pour le baptistère fut rejeté une première fois par la Commission d’art sacré. En juin 1959 André Bouler propose un autre projet, dont l’esprit tient, écrit-il, en trois mots : paix, lumière, joie. À chacun d’y voir l’eau ou l’arbre. « À trop définir, on limite, on perd une intensité intérieure que j’ai cherché à obtenir ! »
En 1956, dans un autre quartier de Brest, le chanoine Chapalain souhaite que les vitraux de l’église de Lambézellec soient reposés comme ils existaient avant-guerre. Il demande à l’abbé Le Beux des noms de peintres susceptibles de réaliser ces travaux.
On lui propose alors les noms de Max Ingrand et Jean Barillet. Max Ingrand réalisait alors le vitrail axial de la cathédrale de Strasbourg. Il répond positivement à la demande brestoise. Mais des divergences apparaissent vite entre lui et le chanoine Chapalain, tenant d’une copie à l’identique des vitraux détruits.
Après la mort de Chapalain, le choix de Max Ingrand est maintenu, mais en lui laissant carte blanche. Le nouveau recteur, Guillaume Sergent, fait traîner l’affaire. En 1959 découvre les vitraux de son ancien élève (il fut instituteur à l’école primaire Sainte- Croix de Quimperlé), André Bouler, à l’église du Landais. M. Sergent lui demande alors
de réaliser les baies de Lambézellec.
Pour peindre les cartons des soixante-deux fenêtres de Lambézellec, André Bouler « rêve » pendant un an devant la maquette de l’église, dans son atelier parisien. Mais dès la première visite, une couleur s’impose à lui, obligatoirement, le rouge.
Pendant cette année, il fait la connaissance de la paroisse et se documente là aussi sur le saint patron de l’église, saint Laurent, martyrisé par le feu au IlIe siècle. Dans son bréviaire se trouvait ce poème, qui détermine tout le style des vitraux : « Comme la corde Ainsi, tendu sur la lyre des tourments, Laurent chante sa foi au Christ (13). » Et écrit-il, « j’avais trouvé ! J’avais trouvé tous les vitraux de Lambézellec ! Ce poème m’inondait de la musique de ses mots, et cette musique n’était pas n’importe quoi : elle avait une signification sacrée ; elle parlait, certes, le langage du cœur, mais par là même, elle disait l’essentiel (14). »
Explications sur la conception du vitrail de l’église Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus à Brest
données en 1990 par André Bouler à Yann Celton.
11 . Archives diocésaines de Quimper, 7L13, lettre d’André Bouler au chanoine Hélou, 27 juin 1959
12. L’Espoir, section de Lambézellec, sans date. sous l’archet rend un son mélodieux,
13. Idem. Extrait du Propre des saints. 14. Idem
Mais une fois les verres posés, il se rend compte de son erreur, les verrières du déambulatoire sont bien trop vives. « C’était quelque chose d’épouvantable, dit-il. Alors là, c’était une erreur de lumière. La couleur, on en avait pour son argent ! Les gens étaient ravis ! C’était un feu d’artifice, c’était d’une intensité intenable. »
Il fallut alors, avec l’aide de Juteau, « casser la lumière », une opération délicate qui consiste à changer certains verres sans pour autant rompre l’harmonie de l’ensemble. Sur les deux fenêtres de l’ensemble il écrit deux phrases extraites du poème de saint Laurent, afin d’orienter la méditation, comme au Landais :
« Ô bienheureux Laurent, le feu n’est que rosée. Ma nuit ignore L’ombre, tout s’illumine. »
La Commission d’art sacré souligne cependant que l’architecture semble gêner l’artiste, et se montre très favorable à la formule abstraite.
Lors du « Jour », le repas mensuel des prêtres de Brest, André Bouler rencontre le chanoine Jean-Marie Le Guellec, curé de Recouvrance, qui lui propose immédiatement de réaliser les vitraux de l’église Saint-Sauveur, soufflés par les bombardements (mais sans demander l’avis de la Commission d’art sacré). Il y réalise le même type de fenêtres qu’à Lambézellec.
15. Archives diocésaines de Quimper 7L9/2 carnet du chanoine Hétou, séance de la commission du 28 novembre 1960.
L’originalité de la composition vient de ce que tous les vitraux de la nef composent un seul et même motif. « J’ai été au culot, dit-il, faire traîner une grande forme sur tous les vitraux d’une église classique (16). » Ces baies sont conçues également par Juteau, leur réalisation s’étalera de 1960 à 1966.
16. Entretien, op. cit.
D’autres vitraux suivront dans le Finistère,- mais jamais les chantiers n’eurent l’importance des travaux brestois. L’année du Landais André Bouler exécute une Apparition de Lourdes pour l’église de Saint-Derrien.
À la chapelle de Sainte-Marine en Combrit on lui commande cinq vitraux en dalle de verre, mais techniquement irréalisables dans des baies géminées et architecturées.
Seul une fenêtre, vide, s’y prête. Elle se trouve en outre du côté de la rue passante. Il y réalise donc une fenêtre en dalle de verre toute blanche et solide et orne les autres fenêtres de vitraux non figuratifs.
À Bénodet en 1967 il présente les maquettes des vitraux à même le sol de la nef, en présence de l’architecte Pierre Brunerie, du chanoine Hélou et de Mgr Fauvel qui montre immédiatement son enthousiasme, au cœur de l’église en construction.
André Bouler travaille ainsi sur quatorze chantiers de vitraux en Bretagne (dont le chœur de l’ancienne église de Concarneau), mais aussi sur d’autres lieux en France (comme les baies de la chapelle du lycée Saint-Augustin à Bitche en Alsace) mais aussi à l’étranger, à New-York ou Amsterdam.
Certains projets n’aboutissent pas, comme la proposition de vitraux pour la chapelle annexe de Saint-Louis de Brest, confié finalement à l’atelier de Jean-Pierre Le Bihan en 1975. André Bouler attend toujours que les projets viennent à lui, il ne passe pas par les concours, ceci pour conserver toute sa liberté de création.
Mais assurément ce sont les trois grands chantiers brestois qui marquent profondément le travail d’André Bouler pour le vitrail, au cœur des années cinquante où toutes les nouveautés et les possibilités de création étaient bienvenues.
Quel art religieux en ces temps « modernes » où l’image a été détruite? André Bouler
Foi et engagement ne peuvent être oubliés par un religieux dans son travail d’artiste, sous peine de diviser sa vie, sinon de gaspiller le temps qu’il consacre à la peinture. Mais aussi respect des exigences de l’art, respect de la « vérité » de la peinture, c’est-à-dire refus de la forcer, – de la fausser pour « faire religieux ».
Or, depuis l’impressionnisme, La peinture a connu une vertigineuse évolution allant même jusqu’à la destruction de « l’image ». La « figuration », dont bénéficiaient nos prédécesseurs, – les Primitifs, les Renaissants – pour « raconter l’histoire sacrée », de nombreux peintres d’aujourd’hui ne peuvent plus y recourir. Non par incapacité, mais par profonde sincérité. On ne fait pas l’art que l’on voudrait, que d’autres souhaiteraient…
Un art « abstrait » peut-il exprimer un « sacré » ? Van Gogh : « Je voudrais peindre des hommes et des femmes avec ce que je ne sais quoi d’éternel dont le nimbe était autrefois le symbole et que nous recherchons par le rayonnement même, par la couleur. »
Ce travail d’artiste n’a de signification qu’en référence au Mystère de l’Incarnation. On souhaiterait, en chaque œuvre, répéter : « Voici l’Agneau de Dieu », qu’il s’agisse d’un sujet religieux, un portrait, un nu ou une méditation non-figurative.
Texte figurant dans le document d’information de l’exposition des œuvres d’André Bouler
au Centre Saint François-Xavier de Colmar du 12 au 17 novembre 1985.
Monologue d’un peintre André Bouler sj
« […] Pourquoi peignez-vous ?
Je réponds : par besoin incoercible. Ce que Kandinsky nommait « nécessité intérieure ». Et, jusqu’à plus ample informé, avant de subir l’accusation d’un égoïsme invétéré, je sollicite le plus grand respect pour cette nécessité-là. Même si, pour le moment, je ne sais comment en rendre compte, j’ai trop conscience que cette donnée en moi est sacrée.D’où ce besoin ? Je sais seulement que je l’ai toujours éprouvé.
Pourquoi, comment, cet intérêt irrésistible depuis ma plus lointaine enfance pour tout ce qui est couleurs, formes, tableaux ? Je me le demande aussi !
À d’autres d’analyser mon origine et mon milieu, s’ils veulent à tout prix se procurer une raison. Au collège, lorsque mes camarades découvraient les premières émotions du
poème, mes découvertes se nommaient Cézanne, Monet, Renoir, les Primitifs flamands.Et plus précisément un élément indéfinissable que ne trahissaient pas mes reproductions, élément mystérieux qui dépassait le portrait, le paysage, la nature-morte et que désignons comme nous pouvons en disant : ce n’est plus un monsieur, ce n’est plus un champ de blé, ce ne sont plus des fleurs : c’est de la peinture. J’ignore encore, et personne ne le saura jamais, ce que ce mot veut dire. Mais, si M. André Frossard me le permet, j’écrirai : « la Peinture existe : je l’ai rencontrée. » Elle existe chez Cézanne, les Primitifs, Piero della Francesca, Vermeer, Matisse, Picasso, et dans le rouleau japonais du Roman de Genji.
Or, une telle révélation ne va pas sans suite. Cézanne découvert : besoin immédiat « d’en faire autant » ; je veux dire de tenter à mon tour la transfiguration des choses. Peindre des pommes aussi, non pour réussir le tour de force dune représentation à s’y tromper (mais c’est alors qu’on vous trouvera « doué » !) : pour atteindre, à travers ces pommes, la troublante « présence » qui n’est pas un rêve puisque Cézanne nous l’a fait toucher du doigt. Premier chemin du peintre qui est, Malraux l’a si bien décrit, celui du plagiat. Gauguin, dune façon plus particulière, m’introduisait dans ce mystère de la peinture, ayant peint, quelques trente ans plus têt, les rochers du Kérou au Pouldu où, tout gosse, j’ai joué. Depuis que j’en ai découvert ses images, je ne puis plus voir ces rochers, et l’île de Groix couchée sur la mer, tout mon coin de Bretagne, sans ressentir cette charge de « poésie », à défaut d’autre mot, qu’il y a mise pour toujours. Nécessité de poursuive cet insaisissable « derrière les apparences ». Irrésistible.
Mais, de grâce ! ne m’en demandez pas la raison… […]
Extrait de « Monologue d’un peintre », paru dans le numéro 67, tome 17 de juin 1970 de la revue Christus, éditée à Paris, consacré au thème de « L’art et la foi ».
Comme la croûte savoureuse d’un pain d’autrefois… par Bernard Dorival
« En un temps malade de vitesse, la peinture d’André Bouler ne laissera pas de surprendre. Elle est en effet, le fruit nécessaire et volontaire tout à la fois, dune lente maturation qui se fait au long de nombreuses années et qui ne saurait s’accomplir autrement. Couvrant patiemment, amoureusement une couche de matière picturale par une autre, André Bouler n’est satisfait de son ouvrage que lorsqu’il lui a conféré une pâte cohérente, serrée, au grain rigoureux, et que l’aspect extérieur se présente comme la croûte savoureuse d’un pain d’autrefois.
À poursuivre cette fin, le peintre courait un risque : celui de fatiguer son oeuvre, de l’abîmer même par un travail excessif. Ce péril, il l’a conjuré. La preuve en est ces gouaches qui paraissent faites à la diable, et qui sont, elles aussi, le résultat d’une élaboration patiente, que leur apparence ne révèle pas. OEuvrer sans hôte, à loisir, et ne pas le montrer : telle est, me semble-t-il, la formule d’André Bouler et le secret de sa réussite.
Épris de matière, il l’est aussi de la couleur, et singulièrement des harmonies froides. Le bleu est son ton d’élection, un bleu profond et transparent, nocturne, velouté. Il l’associe volontiers aux verts, à moins que, recherchant les relations plus subtiles des binaires, il ne lui plaise d’accorder à ses verts des violets, légers et lumineux, et qui témoignent de son exceptionnelle finesse d’oeil. Ce n’est pas qu’il dédaigne les rouges : maintes toiles de ses pinceaux attestent qu’il n’en méconnaît pas les ressources, mais, comme souvent, à son insu ou malgré lui, ses rouges virent au pourpre. Même dans ses toiles à dominantes chaudes s’affirme son penchant pour les froids.
La raison m’en parait claire. Ce peintre, abstrait, et qui a eu le courage de le demeurer aujourd’hui, est l’homme de la forêt et de la mer. Il a beau avoir roulé sa bosse des États- Unis et du Mexique à l’Italie, il n’en est pas moins demeuré l’enfant breton émerveillé par l’arbre et par l’océan, dans lesquels il trouvait la présence de Celui à qui il a consacré sa vie.
Mais juste récompense : peut-être est-ce cette présence qui donne à ses toiles leurs dimensions véritables et qui les charge d’un message inouï. »
Texte écrit par Bernard Dorival pour l’exposition des oeuvres d’André Bouler à la galerie
Madeleine Kaganovitch à Paris en 1981. Un extrait du texte a été repris comme titre.
Bernard Dorival (1914-2003) était un historien de l’art et critique d’art réputé,
conservateur en chef du musée national d’art moderne, spécialiste et défenseur de l’art abstrait.
Article publié le 2 juillet 2014