Se respecter : chronique du P. Paul Valadier sj
Toute campagne électorale connaît des moments de tensions, voire de violences. Chaque candidat doit non seulement défendre son programme, mais aussi répondre aux critiques, voire aux attaques dont il est l’objet. Dès lors, comment faire preuve de respect envers autrui en cette période ?
À moins de rêver d’un monde idéal où l’on échangerait des idées autour d’une tasse de thé, on sait bien que les meetings politiques sont des lieux de proclamations excessives, de promesses fantastiques, d’excitation des militants, plus rarement des occasions de débats sereins et de propositions sensées… Peut-il d’ailleurs en être autrement ?
Mais là encore faut-il respecter ce qu’on appelle de nos jours des « lignes rouges » : il est des limites à ne pas dépasser à moins de verser dans la démagogie et de distiller la haine plutôt que la recherche du bien commun. Malheureusement, nous assistons à la multiplication des injures et des insultes, voire à des violences physiques à l’égard de nos représentants élus. On peut bien évidemment critiquer leurs décisions, d’ailleurs plus difficiles qu’en temps ordinaire en période de crise sanitaire, c’est même un impératif pour toute opposition en démocratie. Mais il est une façon de s’en prendre aux personnes en les rabaissant et en les menaçant qui apparaît comme un symptôme grave d’une maladie de nos sociétés. Car trop souvent l’attaque personnelle prend le dessus sur la critique nécessaire des décisions ou des propositions.
Or il n’est jamais bon que la vie démocratique soit ainsi émaillée de tels déchaînements de haine. Car la haine est un redoutable virus qui ne se borne pas à contaminer des candidats aux élections; elle se répand comme une traînée de poudre entre citoyens. Il est d’ailleurs invraisemblable que certains en viennent à parler d’un « droit au blasphème », comme si en toute société civilisée, on ne se devait pas au contraire le respect mutuel. Respecter autrui ne signifie pas un parfait accord avec ses idées ou ses comportements, ni même avec ses convictions. Mais le respect conduit à une règle de retenue et d’ouverture à autrui qui n’est pas tolérance molle ni complaisance avec ce qu’on estime fautif, erroné, dangereux. Bien au contraire, c’est quand on respecte quelqu’un qu’on est exigeant à son égard, donc qu’on ne craint pas de lui faire connaître nos éventuels désaccords. Mais justement dans la modération et dans la recherche pour comprendre ce qui nous surprend ou nous choque.
Bien plus, haïr ou mépriser autrui, c’est en réalité ne pas se respecter soi-même, se déshonorer, s’avilir, donc se rabaisser. Le respect de soi, c’est-à-dire le sens de sa propre dignité, interdit certains propos ou certaines conduites qui seraient inavouables à nos propres yeux. Les polémistes qui ont vent en poupe pendant cette campagne électorale manifestent leur vulgarité propre, mais montrent aussi à quel point ils méprisent leur public en le gavant de propos haineux ou de jugements infondés. Le mépris de soi débouche presque fatalement sur le mépris d’autrui. Si bien qu’au total on est porté à plaindre les malheureux polémistes prisonniers de leur propre jeu malsain, victimes d’eux-mêmes bien plus que du « système » (journalistes, personnel politique, intellectuels…) qu’ils ne cessent d’accuser. Ils sont les esclaves de leur propre haine.
Mais il faut bien voir que le virus de la haine peut aussi s’infiltrer dans l’Église ; nul n’y échappe et quand on lit certains propos venimeux contre le pape François venant de hautes personnalités comme on dit (rien moins que des cardinaux), on se prend à penser que ces personnes, croyant sans doute parler pour le bien de l’Église, détruisent le lien de charité qui devrait nous unir et s’avilissent aux yeux de tous. Se respectent-elles elles-mêmes ?
P. Paul Valadier sj,
communauté Saint-François-Xavier à Paris (Grenelle)
> Source de l’article : extrait de la revue Vie chrétienne n°76 – mars 2022
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