Servir n’est rien sans aimer : témoignages d’une professeure et d’une chef d’établissement scolaires jésuites
Geneviève Mandon, chef d’établissement coordonnateur à l’Externat Saint-Michel à Saint-Étienne, et Virginie Huys, professeure au Collège Saint-François Xavier à Verviers, témoignent de leur joie de « vivre avec les élèves une relation mutuellement constructive et enrichissante, qui ouvre à l’espérance » et des nombreux défis à relever dans leurs établissements scolaires.
33 ans ! Témoignage de Geneviève Mandon, chef d’établissement coordonnateur à l’Externat Saint-Michel à Saint-Étienne
Trente-trois ans que je suis à l’Externat Saint-Michel de Saint-Étienne ! Quand je me hasarde à un regard rétrospectif, le vertige me saisit car autant d’années ne s’écoulent pas sans laisser de traces. La jeune fille de 24 ans qui franchit pour la première fois le seuil de Saint-Michel, rue Jules Vallès, a en effet pris quelques cheveux blancs…
Mais, à n’en pas douter, mes convictions sont restées les mêmes : foi en un enseignement qui éduque, forme et forge ; foi dans la jeunesse ouverte, enthousiaste et curieuse d’apprendre ; confiance en la capacité que l’école constitue un puissant levier pour construire la société de demain…
Ma présence à Saint-Michel m’a apporté la confirmation de ces intuitions de jeunesse, grâce à la pratique du beau métier d’enseignante de français. J’ai débuté au Collège, comme suppléante. Le directeur de l’époque ne m’avait-il pas confié la périlleuse mission de « ramener l’ordre dans la classe » car les élèves sautaient sur les tables ? Puis, très vite, à la faveur de départs à la retraite de collègues, on me fait confiance et je deviens « prof de lycée ». Quelle fierté ! Les concours m’aident à parfaire mon enseignement en Lettres ainsi que le suivi des étudiants en prépa d’orthophonie. Assez vite, tout en conservant mes heures d’enseignement, je deviens responsable des Secondes (4e secondaire belge), pendant sept ans, puis des Premières et, au départ du directeur du Lycée, je lui succède. Les circonstances font que j’accepte aussi la direction du Collège, et je me retrouve Chef d’établissement en 2017.
Servir n’est rien sans aimer
Mes convictions de jeunesse n’ont pas changé ; ma mission, elle, a évolué au fil du temps, avec la même volonté de servir. Servir ! Voilà bien le mot et l’objectif que j’ai peu à peu saisis dans l’exercice de mon métier, dans les rencontres avec les personnes qui fréquentent et font Saint-Michel. Les jésuites, bien sûr, discrets, impliqués, engagés et avec une mission de service chevillée au corps.
Au fil des ans, les rencontres et le compagnonnage avec… pas moins de quinze jésuites – tant de visages et de personnalités gravés dans ma mémoire – constituent autant de manières d’aborder la notion de service. Cette caractéristique jésuite est contagieuse ! Petit à petit, le sens du service se répand, à la fois chez les adultes, qui donnent de leur temps dans les instances représentatives (Conseil d’administration et Comité Social et Économique) ou réservent un accueil de qualité aux nouveaux au moment de « la Saint-Michel », véritable cérémonie d’intronisation, mais aussi chez les élèves, qui vivent à travers le Projet d’action sociale (PAS) une expérience de service auprès des plus vulnérables et démunis.
Servir n’est rien sans aimer. C’est pourquoi, à Saint-Michel, la belle devise des jésuites « En tout aimer et servir » trace la « manière de vivre ce service, en aimant, c’est à dire en donnant et en se donnant, mais aussi en accueillant »[1].
Des différences qui nous unissent : témoignage de Virginie Huys, professeure au Collège Saint-François Xavier à Verviers
Quel public scolaire le Collège Saint-François-Xavier accueille-t-il ?
La population du Collège Saint-François-Xavier à Verviers (Belgique), situé en centre-ville, est le reflet de Verviers, une ville à l’Est de la Wallonie, au riche passé industriel, qui a toutefois subi de plein fouet la désindustrialisation. Une grande mixité culturelle, religieuse et sociale caractérise les élèves venant du centre-ville, issus de l’immigration tchétchène, russe et syrienne…, tandis que les élèves habitant la périphérie viennent de milieux plus aisés.
Quelle est l’espérance des jeunes rencontrés ? Quels défis les touchent ?
Avant la pandémie, la préoccupation écologique était très présente et mobilisatrice. Elle le reste à travers l’équipe eco-team, ou encore la perception, accentuée par les inondations catastrophiques de l’été, qu’il faut dépasser les actions ponctuelles et changer notre mode de vie. Mais le poids de la pandémie se ressent ; elle fait passer tout le reste à l’arrière-plan et, par sa longueur et ses rebondissements, elle est source de désespoir et enferme chacun dans un strict « métro-boulot-dodo ». Le besoin majeur que les élèves expriment – et qui souligne une valeur fondamentale – concerne les liens sociaux. La soif de se rencontrer, de retrouver les activités qui donnent sens à la scolarité : retraites, spectacle annuel de gospel, sorties de classe. De ce point de vue, le rassemblement de Marseille, à la Toussaint 2021, a été une bénédiction.
Quels sont les défis pour l’école ?
Dans le cadre de Verviers, avec sa diversité de milieux sociaux, de cultures et de religions, le défi principal consiste à bâtir et à célébrer un vivre-ensemble où les différences ne sont pas ce qui nous sépare mais ce qui nous unit : simplement notre humanité. Cela demande de développer un climat d’écoute et de respect, qui ouvre les cours au-delà des simples contenus. Dans le cadre du cours de religion, par exemple, quand chacun peut exprimer les piliers de sa religion et sa manière de les vivre, il y a beaucoup d’interactions. Cela permet aussi une ouverture sur l’histoire des guerres de religion, pour en faire percevoir la dimension géopolitique. La parole qui se libère permet de découvrir aussi que, par-delà certains déserts culturels, les élèves sont pleins de ressources et positivement surprenants. Il nous faut accueillir et nourrir cela pour dépasser les simplismes.
L’ouverture au sens d’un vivre-ensemble permet à certains élèves d’envisager leur avenir autrement : refuser le métier comme simple ressource financière ou les études supérieures comme reproduction d’un modèle social, et faire des choix qui ont du sens. Pour l’un, ce sera un engagement humanitaire ; pour une autre, la pâtisserie…
Être professeur – et ce fut une révélation lors de mon premier stage –, c’est vivre avec les élèves une relation mutuellement constructive et enrichissante, qui ouvre à l’espérance.
[1] jesuites.com/mots-jesuites
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.
Éduquer à l’espérance : dossier sur les établissements scolaires jésuites
Faisons mentir une légende urbaine : non, les jésuites n’ont pas abandonné les écoles ! En effet, quelque 36 000 élèves français et belges francophones sont aujourd’hui scolarisés dans des établissements scolaires sous tutelle des jésuites.
Deux réseaux fédèrent et animent ces institutions : la Coordination des Collèges et Écoles jésuites (Cocéjé) en Belgique francophone et le réseau Loyola-Éducation en France. Voici quelques enjeux de cette mission éducative à la lumière des orientations contemporaines de la Compagnie de Jésus. > Lire le dossier
En savoir + sur les établissements scolaires jésuites de la Province
Article publié le 31 août 2022