Sur les îles grecques, aux côtés des exilés
Quitter son pays et ses proches, et traverser la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure : tel est le désir des exilés qui débarquent sur les côtes grecques. Une fois sur place, grand est leur désarroi de se retrouver dans des camps, parfois plusieurs années durant, sans aucune perspective. Depuis trois ans, le P. Tonny Cornoedus sj, jésuite flamand, est à leurs côtés.
« Père, me disait un Camerounais, en Afrique on danse toujours : on danse de joie et on danse dans la détresse et le deuil. Quelle joie d’être arrivé en Europe ! Fini la misère, la torture, la persécution ! Enfin libre pour construire une vie normale ! »
L’euphorie ne dure guère. Sur l’île de Samos, les cabanes et les tentes, construites avec les moyens du bord, sont entourées de souris, de rats et parfois de serpents. Les demandeurs d’asile s’entassent dans le camp insalubre. Pourtant, le jour où une bonne partie du site a brûlé, en octobre 2020, les gens se sont mis à reconstruire leur habitation avec beaucoup d’enthousiasme et de solidarité. Et quand, peu après, la terre a tremblé et que l’église catholique de la ville n’était plus accessible, les Africains ont construit dans le camp une belle petite église pouvant accueillir 60 personnes. Covid ou pas, l’église est remplie : on chante, on danse, on loue le Seigneur. Je suis témoin d’une foi, d’une dévotion et d’une participation que l’on trouve rarement en Europe aujourd’hui. Ces réfugiés peuvent beaucoup nous apprendre : vive l’Église universelle ! Ils sont nombreux à retrouver la force dans le Seigneur et à dire : « Je crois en Lui, je mets ma confiance en Lui. »
Pourtant, la vie n’est pas facile au camp. Imaginez que, pendant deux ou trois ans, parfois davantage, vous n’ayez rien à faire de vos journées. Manger, se promener un peu et dormir sont les seules occupations possibles pour la plupart des exilés. Seule une petite minorité peut s’engager dans une ONG. Pour les jeunes gens surtout, ne rien faire, ça tue ! D’ailleurs, en Grèce, un demandeur d’asile ne peut pas travailler. Je comprends bien qu’après deux ou trois ans de cette inactivité complète, ils me disent : « Père, je suis fatigué, vraiment fatigué ! »
Dès l’instant où les personnes reçoivent la réponse à leur demande d’asile – qu’elle soit acceptée ou refusée – on interrompt la maigre indemnité de 75 euros par mois. Samos compte des centaines de réfugiés, et Athènes des milliers, sans le moindre revenu. Comment ces personnes peuvent-elles survivre ? Cela fait-il de ces Afghans, Syriens ou Africains des voleurs ou des trafiquants de drogue ? Qui, hormis quelques ONG, s’occupe d’eux, leur offre une formation, des cours de langues, un métier ? La réponse fusera : « Il n’y a pas d’argent pour ça ! » Pourtant, à Samos, dans un no man’s land, un nouveau camp a été construit pour plusieurs millions d’euros tandis que la Grèce a construit un mur de 40 km sur la frontière avec la Turquie – 63 millions d’euros – et a acheté un canon sonore pour effrayer les migrants. Mais, dormons en paix, la façade est sauve : on empêche les réfugiés d’entrer en Europe, tout en améliorant le sort des occupants des camps !
En Grèce, quelques milliers d’exilés ont obtenu le statut de réfugié et peuvent travailler. Mais le chemin reste ardu : après une très longue recherche, ils trouvent parfois un emploi précaire, mal payé, sans contrat de travail et aux horaires harassants. Ainsi, Jules a travaillé deux jours, à raison de dix heures par jour, à la récolte des oranges. Son salaire total ? Six euros… Quelle injustice !
Est-ce donc cela « accueillir l’étranger » ? « Notre pays est déjà saturé d’étrangers ; nous ne pouvons plus accueillir de réfugiés. », susurre une voix populiste. Mais les principaux pays d’accueil – Pakistan, Liban, Turquie… –, souvent pauvres, hébergent des millions de déplacés sur leur territoire. – « Oui, mais il faut protéger notre culture européenne (avec la variante : chrétienne). » Qui donc détruit les vraies valeurs chrétiennes ou françaises de « liberté, égalité, fraternité » ? En mon for intérieur, je pense : « Celui qui s’enferme étouffe ! Pauvre Europe, pauvre forteresse Europe… »
Une humble présence
À Samos, j’assure une présence pastorale souhaitée par l’évêque du lieu : chaque jour, j’y célèbre l’eucharistie et, avant la dernière Pâques, j’ai organisé un catéchuménat, car beaucoup d’Africains, bien qu’ils vivent leur foi intensément, ne sont pas baptisés. Au cours de la veillée pascale, j’ai eu la joie de baptiser et de confirmer onze catéchumènes. Je donne un peu d’argent – quand j’en ai ! – car beaucoup n’ont vraiment rien. Surtout, je suis là, avec eux, écoutant leurs peines et quelquefois leurs joies, dans un climat d’amitié, quelles que soient leur nationalité et leurs convictions.
Il y a trois mois, je transportais dans ma voiture trois Camerounais arrivés de Turquie, par un de ces petits bateaux gonflables, sur l’île de Samos. Je les amenais au camp lorsque la police grecque m’a arrêté pour transport d’ »illégaux ». Soupçonné d’être un passeur (smuggler en anglais), j’ai été enfermé pendant trois jours et trois nuits au commissariat de police. J’attends maintenant le résultat du procès.
P. Tonny Cornoedus sj
Pastorale des migrants sur les îles de Lesbos et Samos, communauté jésuite d’Athènes
L’auteur
Tonny Cornoedus, jésuite belge flamand. Après un travail de huit ans au Cidera, au Maroc, il a été, pendant 35 ans, aumônier de prison en Flandre. Depuis trois ans, il est présent auprès des exilés en Grèce, d’abord à Lesbos et actuellement à Samos. À l’heure de clôturer cette édition (septembre 2021), le P. Tonny Cornoedus attend le verdict de son procès.
À Lesbos, l’eucharistie est célébrée chaque jour dans une église de fortune.
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Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (automne 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.