« Un Synode de l’écoute, prompt à la surprise » : interview du P. Christoph Theobald sj
Expert lors de la première session du Synode des évêques sur la synodalité, le P. Christoph Theobald sj présente les enjeux du processus synodal, dans une interview accordée à Vatican News, réalisée par Delphine Allaire.
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« Le chemin de la synodalité est celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire ». Le Souverain pontife argentin convoque ainsi les Églises particulières à réfléchir aux moyens de rendre l’Église universelle plus synodale, par la communion, la participation et la mission. Pour cela, l’écoute et le dialogue sont primordiaux comme style de vie. Le P. Christoph Theobald sj, fait partie des participants « experts » de l’assemblée synodale. Le professeur émérite du Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris en présente les enjeux dans cette interview accordée à Vatican News, réalisée par Delphine Allaire.
Peuple fidèle, collège des évêques et évêque de Rome, les uns à l’écoute des autres, tous à l’écoute de l’Esprit Saint. Pourquoi tel processus à ce moment de l’Histoire de l’Église ? À quel appel répond-il ?
Le premier appel résonne avec ce que dit le pape François du changement d’époque que l’on vit. Ce n’est pas une époque de changements, mais un changement d’époque. Il est du à plusieurs facteurs : la crainte de la transition écologique (encyclique Laudato si’), mais aussi, les violences croissantes dans nos sociétés, des violences de type politique, verbale, et les guerres. Autre texte décisif du Pape, l’encyclique Fratelli tutti, où figure un magnifique chapitre sur l’honneur qu’il faut faire à la politique au sens noble du terme. Le troisième appel, provenant du Concile Vatican II, est le suivant : que deviennent les baptisés dans l’Église ? Quelle est exactement leur place ?
La thèse fondamentale du Concile et du pape est l’égalité baptismale entre tous les fidèles. Comment peuvent-ils réellement participer ? C’est le grand terme qu’on avait déjà dans la liturgie, la Participatio actuosa, la participation active des fidèles à l’ensemble de la vie de l’Église. Le pape la transpose à l’ensemble, plus seulement à la liturgie. Nous sommes dans un kairos, un moment où la grâce passe sans doute d’une manière plus particulière.
Ce processus nécessaire d’écoute est-il l’occasion de faire vivre l’universalité de l’Église ou le signe de crispations à dépasser ?
La particularité du processus est de faire vivre les Églises locales dans l’Église universelle. Il fait prendre conscience aux Églises locales qu’elles sont toute l’Église. Pour cela, chaque Église locale doit s’ouvrir au continent et ensuite, évidemment, à l’Église universelle. C’est un point tout à fait décisif dans la structure même du processus synodal inauguré par le pape François.
Il y a la première phase locale, nationale, continentale, puis, la phase présente qui est universelle. Ensuite, le pape a très clairement affirmé que les textes devront « descendre » à nouveau aux plans régional et local. Certes, nous vivons dans une Église où il y a beaucoup de divisions. Le sociologue français, Jérôme Fourquet, appelle cela l’archipélisation de l’Église. Des groupes coexistent plus ou moins bien et s’affrontent, mais ne parlent pas ensemble. Le processus synodal a pour objet de dépasser les conflits par l’expérience de l’écoute.
Ce synode suscite à certains égards des inquiétudes quand ce ne sont pas des résistances. Pourquoi et que dire pour rassurer ?
Sans majorer les difficultés, il faut constater la crainte et les résistances d’un certain nombre de fidèles. Les écouter. Il y a cette peur que l’on touche à la structure fondamentale de l’Église. Le Concile Vatican II nous donne là des références, en insistant beaucoup sur l’articulation entre les Églises particulières et l’Église universelle. À l’intérieur de cette articulation, il y a le ministère de Pierre, Sub Petro, Cum Petro. Sous Pierre et avec Pierre. Dans cette formulation, l’on trouve à la fois la présence du pape à l’intérieur du collège épiscopal comme évêque de Rome, et, en même temps, celui qui initie les processus, qui les reçoit, qui écoute et qui est témoin de la foi de l’Église catholique.
Quelle responsabilité pour les membres du synode dans la double écoute du peuple de Dieu et de l’Esprit Saint ?
Les membres sont d’abord issus du peuple de Dieu, des Églises locales et donc représentants de leur Église locale particulière. Ils sont à la jonction des deux niveaux. En écoutant les résonances de ce que les autres disent en leur propre cœur et en réfléchissant ensemble à ce qui en ressort, ils écoutent à la fois l’Esprit Saint et l’ensemble des autres membres pour aboutir à des orientations.
Quelle place accordée au discernement ignatien dans ce Synode ?
Il est remarqué à cause du pape François, mais pas uniquement, car il est une tradition dans l’Église. Depuis le Nouveau Testament, le discernement est décisif. Nous pénétrons un groupe donné avec notre propre opinion, plus ou moins fondée, et dans le discernement, nous la mettons en question ou en réserve pour pouvoir en écouter d’autres.
Le discernement ignatien est basé fondamentalement sur l’expérience d’écoute de l’autre et l’écoute de soi-même ; de ce que produit en soi la parole de l’autre : colères, réserves, sympathies. Il faut en prendre conscience pour pouvoir réellement écouter jusqu’au bout. J’appelle cela une écoute stéréophonique, être capables d’écouter plusieurs voix : la voix de l’autre, la voix interne de sa propre conscience, la voix de tout le monde, d’une certaine manière, autour de soi, et, à l’intérieur de cela, la voix de Dieu.
Quelle primauté de Pierre dans ce processus d’écoute ?
L’évêque de Rome, évêque d’une Église locale particulière, la première des Églises sur le chemin de l’histoire de la tradition chrétienne, a une fonction d’arbitrage. Sa première tâche est d’écouter jusqu’au bout. C’est peut-être la chose la plus difficile, car c’est une écoute, non pas de son Église particulière romaine, mais de toutes les Églises.
Le pape est aussi l’homme du lien. Étymologiquement, Pontifex signifie « le constructeur de ponts » ; celui qui fait le lien avec toute la tradition de l’Église et le lien entre toutes les Églises. Il veille à l’unité. Ce qui est le plus difficile dans cette veille aux liens – épiskopè veut dire veille, la vigilance -, c’est d’écouter. Le pape est particulièrement sensible à cela, d’écouter les voix que l’on entend très peu, la voix des pauvres et des marginaux.
Le Pape insiste sur le fait de rester ouvert à la surprise pendant ce synode. Que cela vous inspire-t-il ?
La question de la surprise est décisive. La vie est imbibée de normalité. Il y a beaucoup de rites aussi dans l’Église. La répétition fait partie de notre existence humaine. Mais ainsi, nous risquons de nous déshabituer des surprises, des événements imprévus qui risquent d’arriver. Le Concile Vatican II a été décisif grâce aux rencontres, je compte beaucoup là-dessus pour ce Synode. Les surprises sont une caractéristique de l’Esprit Saint. Dans l’Évangile de Jean, n’est-ce pas l’Esprit qui vient ? Il faut naître dans ce souffle. On ne sait pas d’où il vient, ni où il va. Cela suppose une attitude spirituelle fondamentale qu’est, d’une certaine manière, l’ignorance. Accepter que l’on ne sait pas, que l’on ne connaît pas l’avenir et qu’on le laisse advenir.
Cette interview a été réalisée par Delphine Allaire, de Vatican News.
Pour aller plus loin :
- Accéder au dossier spécial des jésuites sur le Synode sur la synodalité.