Envoyé à Rome pour poursuivre son parcours d’études à l’Université Grégorienne, le scolastique – étudiant jésuite – Benoît Thevenon témoigne des déplacements intérieurs que cette année de Pèlerinage à Rome a suscités.

Benoît Thevenon sj rome Il y a six ans, juste avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus, j’ai eu la chance de terminer mes études d’architecture à Rome. La proposition d’y revenir pour étudier la philosophie et la théologie durant un an n’était donc pas pour me déplaire. En revanche – situation communément éprouvée –, lorsqu’on revient dans un lieu qu’on a déjà fréquenté, on s’attend à retrouver des sensations connues. La disponibilité d’attitude et d’esprit et l’ouverture à la nouveauté peuvent en être émoussées. Être jésuite, étudiant à l’Université Pontificale Grégorienne, dans une communauté internationale, ce n’est pas la même chose que d’être étudiant en Erasmus à l’Université d’État de la Sapienza, en collocation avec des amis italiens… Sans évoquer les contraintes liées au Covid, comme l’enseignement à distance ! Durant ces premiers mois parfois difficiles, il m’a fallu accueillir une nostalgie inconsciente et changer mon regard sur le réel pour le choisir librement.

Une communauté internationale

Dans la communauté du Gesù, nous sommes une soixantaine de jésuites, en formation pour la plupart, venant d’une trentaine de pays différents. Passionnante expérience que de plonger ainsi dans la réalité de la Compagnie universelle ! En revanche, il y a là un challenge quotidien au niveau linguistique, car, si pour un Français l’italien est un défi tout relatif, pour ceux qui viennent d’Inde ou du Viêtnam, il en va bien autrement. De plus, à la différence de nos communautés parisiennes, nous sommes tous étrangers et le locuteur natif est trop rare pour corriger nos erreurs linguistiques. Ce point est fondamental car, si la langue est importante pour la compréhension des cours, elle ne l’est pas moins pour nos relations et le partage entre frères. Avec certains, la communication reste limitée ; pour moi, c’est une source de frustrations.

Paradoxalement, cette réalité, tout en révélant nos pauvretés, constitue l’une de nos plus grandes richesses. La cohabitation internationale est en effet salutaire : elle permet une conversion en profondeur de chacun, et cela ne va pas sans frotter certains de nos héritages culturels qui, parfois, ont encore besoin de se laisser évangéliser.

Pierres Vivantes

À l’heure où je me préoccupais de ne fréquenter que des étrangers – comme moi ! –, l’une de mes grandes joies a été mon envoi aux Pietre Vive (Pierres Vivantes) pour l’apostolat que tout étudiant jésuite accomplit en parallèle à ses études. Les jeunes Italiens que j’ai retrouvés dans cette petite communauté m’édifient beaucoup. Je les sens en recherche, avec un souci constant de faire un lien honnête entre foi et raison, loin de toute revendication identitaire catholique. Je perçois en eux une grande maturité spirituelle et une conscience de la place qu’ils ont à prendre dans le service de l’Église. La dimension de formation étant très présente, tant sur le plan théologique qu’artistique, j’apprends énormément et je suis stimulé dans ma propre recherche. Je n’ai jamais autant lu que ces derniers mois et je vois le fruit que cela porte dans les liens qui, tout naturellement, se nouent entre ma formation en architecture, mes études de théologie et ma compréhension de la liturgie.

Accueillir le réel pour entrer dans la Vie

Voyager, passer du temps dans les musées, retrouver des amis : j’avais bien des raisons de me réjouir de ce retour à Rome. La pandémie et ses confinements à répétition en ont, bien évidemment, décidé autrement, puisque je passe mes journées à la bibliothèque. Pourtant, je ne regrette rien de cette forme d’ascèse. À travers cette mise à l’épreuve de la solitude dans les études, j’apprends à ne pas me disperser et à consacrer du temps à la lecture. Ignace non plus n’avait pas prévu l’itinéraire qui fut le sien, finissant sa vie assis derrière un bureau à Rome pour écrire tant de lettres et rédiger les Constitutions. Contraints par les circonstances d’annuler leur départ pour la Terre Sainte, ses compagnons et lui ont activé « le plan B » envisagé dès les débuts à Montmartre… et cela nous a valu la naissance de la Compagnie de Jésus ! Ces deux épisodes peuvent éclairer la réalité d’évènements qui, bien souvent, nous portent plus loin que ce que nous aurions pu imaginer. En ce qui me concerne, je ne pensais pas que, malgré les difficultés évoquées, ma vie puisse être aussi passionnante. Sono Benedetto !

Benoît Thevenon sj, scolastique à Rome

Avec Pierres Vivantes, s’ouvrir à l’art et à la spiritualité

Pietre Vive (Pierres Vivantes) est un réseau de communautés chrétiennes d’inspiration ignatienne formé de jeunes volontaires qui accueillent les touristes dans les églises pour expliquer l’architecture et les œuvres d’art tout en révélant leur dimension spirituelle ; c’est l’Église dans l’église, présence vivante et accueillante. > Voir le site internet et la page Facebook (à Paris)

Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien ou envoyez vos coordonnées (adresse électronique/postale) à communicationbxl[at]jesuites.com.

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