Une fin de régence bousculée par le virus

Jean-Baptiste Roy était au Burundi en tant qu’enseignant depuis août 2018 pour « faire sa régence », cette étape de la formation d’un jésuite durant laquelle la formation académique est interrompue pour effectuer un « stage apostolique » de deux ans. Régence qu’il a dû interrompre en raison du Covid-19…

Jean Baptiste Roy Burundi 3 La vie suivait son cours normal à Bujumbura. Appartenant à l’autre partie de l’humanité encore « saine et sauve », on voyait s’agrandir le terrain de ce vilain virus avec ce fol espoir d’être épargnés. Il ne faisait, malheureusement, aucun doute que l’épidémie du Covid-19 arrivait sur les bords du Lac Tanganyika. La question était : quand ? Et quelles seraient les réactions des autorités publiques ? Mais pas une seconde, je n’ai imaginé qu’une si petite créature viendrait m’arracher à ma régence, à mes élèves, à mes chères collines du Burundi…

Le 1er avril : les deux premiers cas de Covid-19 étaient détectés à Bujumbura. Vingt-quatre heures plus tôt, le Père Provincial évoquait avec moi la possibilité d’une fin de régence anticipée et d’un retour, sans tarder, en France. Le choc total. Terminus, tout le monde descend ! Le moment était grave, mais rempli, aussi, de compassion pour le sacrifice qui m’était demandé. J’ai senti monter en moi les prémices du déchirement. J’étais déboussolé : rien n’était encore décidé officiellement, mais tout avenir devenait flou, tempête d’émotions. La Semaine Sainte passa, avec une pesanteur pénible. Était-ce possible que tout s’achève ainsi ? Si rapidement, si brutalement ? J’ai désiré que « cette coupe » passe loin de moi… Puis, un souvenir du noviciat est revenu : quand on étudiait les vœux, on apprenait que l’obéissance ne se vit pas seulement dans un acte conforme à ce qui est demandé, mais doit aller jusqu’à aimer ce qui est demandé. Dans ces mêmes moments, un compagnon, confiné à Paris, au courant du drame qui se jouait pour moi, ne cessait de m’encourager à la confiance et à l’espérance. À l’air libre, le tombeau vide du matin de Pâques a fait le reste… Et j’ai, finalement, obéi. En réalité, je n’avais jamais songé à désobéir, mais je n’étais pas encore dans l’obéissance jésuite. Même si la douleur du départ demeurait, même si le cœur était lourd, les yeux humides, il y avait la promesse de quelque chose de juste et bon en consentant à aimer ce qui m’était demandé. Le lundi de Pâques, mon retour devenait officiel, j’étais prêt (du moins intérieurement !). Dans l’obéissance s’est joué, pour moi, une forme de salut. Après avoir poussé un soupir en apprenant mon départ imminent, une sœur burundaise n’a eu que ces quelques mots : « L’obéissance, c’est la victoire« . Puis, tout est allé très vite : les bagages, les inscriptions dans les vols de  rapatriement, les affaires à régler avec mon remplaçant nommé in extremis, et, surtout, dire « Au revoir ! » autant que possible… L’épine profonde de cette épreuve est de ne pas avoir pu saluer, une dernière fois, mes élèves. J’ai quitté le Burundi la veille de la rentrée scolaire…

Jean Baptiste Roy Burundi Si tout cela fut éprouvant, et me laisse encore aujourd’hui un goût étrange, ce retour brutal ne peut assombrir vingt et un mois de joie et de service. Cette expérience d’obéissance apporte, finalement, sa part de lumière et fait, désormais, partie de ma régence. Je retiens, aussi, cette fraternité jésuite qui se moque des distances et qui m’a soutenu chaque jour. Enfin, je ne remercierai jamais assez d’avoir été envoyé au Burundi où une partie de mon cœur est restée. Une dernière image : celle de l’amitié et de la fête pour clore presque deux années de foot avec les garçons des collines. C’était la veille du départ. Attention, cette photo peut heurter les âmes sensibles à la distanciation sociale ! En kirundi, on dit « turi kumwe » en quittant quelqu’un, « on est ensemble »…

Jean-Baptiste Roy sj
Clamart

Qu’est-ce que la régence dans la formation d’un jésuite ?

(*) La régence est l’étape de la formation d’un jésuite durant laquelle le scolastique (jésuite « étudiant ») interrompt la formation académique pour effectuer un « stage apostolique » de deux ans. > En savoir + sur la formation d’un jésuite

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Article publié le 5 juin 2020

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